“On se toucherait bien mais on n’arrive qu’à se donner des coups” (bis)

Les p’tits loups !

Cela fait tellement de temps que je ne suis pas venu griffonner et grattouiller quelques feuilles virtuelles dans cet ici. Il s’est pourtant passé tellement de choses. Tenez, j’ai failli perdre mes longues, magnifiques et soyeuses oreilles ! Rassurez-vous, je les ai gardées mais, vraiment, j’ai vu s’approcher à grands pas pressés le moments où je n’allais plus pouvoir les secouer violemment. J’aimerais vous parler de longs paragraphes encore, de mes si précieuses oreilles mais quelque chose me dit que vous ne me liriez plus et cela me chagrinerait un peu. J’ai beau dire que j’écris pour moi seul, pour le plaisir de sentir les mots glisser sous mes doigts, pour l’afflux de sang aux tempes et les trépignements intérieurs, j’ai beau affirmer que je me fiche bien que mes mots soient lus et relus, que j’aime à les écrire et rechigne à en parler, j’aime, de temps en temps, sentir les pas fugaces d’un lecteur parmi mes lignes. J’aime à sentir votre souffle derrière ma plume. Aussi, je céderai aux goûts communs et parlerai d’autres choses que de mes oreilles.

La vie suit son cours, de façon un peu chaotique, souvent ensoleillée, parfois un peu en-grisaillée. Mais, vous savez, c’est le lot de C. de ne pas savoir se blinder contre les coups, de manquer de protections, de ne pas savoir tourner le dos à ce qui le secoue la tête, lui obstrue le crâne, lui flingue les neurones, lui barbouille le cœur, lui terrasse l’âme. Elle n’a pas la sagesse nécessaire à cette paix, elle n’a pas l’intelligence qu’il faut détenir pour traverser l’existence sans trop de heurts. Alors tant pis pour elle, hein. Je sais tout cela car elle me le raconte. Je ne la vois plus beaucoup, voyez vous. Elle ne vit plus dans mon pavillon de banlieue. Elle trimbale ses bagages avec elle, elle se charge d’imbécilités, s’alourdit de silences. Elle ne sait pas toujours à quel lieu elle appartient. Elle n’aime plus trop à passer dans mon chez moi, en fait. Pourtant, si vous saviez combien elle l’aime cette maison et surtout, Ô combien elle aime ceux qui y vivent. Seulement, C., il est des moments, où elle puise sa force dans la fuite, des instants où elle ne parvient à tenir debout que par la désertion. Je lui dis d’essayer, encore et encore, d’essayer de se lancer vers celle qu’elle ne comprend plus et qui ne la comprend pas non plus. Je lui répète de ne pas baisser les bras, je lui redis, qu’après tout, “impossible”, elle connaît pas. Je lui raconte ma déception de la voir abandonner un peu plus chaque jour, de la voir rendre les armes et hausser les épaules en retenant l’eau salée derrière ses paupières. Je lui dis que je pensais qu’elle ne supportait pas l’échec, qu’elle était mauvaise joueuse et ne savait pas perdre une bataille, qu’elle soit aux cartes, navale ou d’existence. Mais les gars, le problème, c’est qu’elle n’habite plus là et que, forcément, elle ne m’écoute donc pas.

Alors, lâchement, elle préfère tenter de barricader son cœur en se bouchant les oreilles, en lisant en diagonal, en tapant dans des sacs et en se mordant les poings. Elle se convainc qu’elle n’a pas la force d’avoir encore le ventre à l’envers lorsqu’elle voit D, qu’elle n’a pas la force de se voir encore et encore et encore et encore une déception immense dans les yeux de sa mère. Elle se répète qu’elle n’a plus l’envie de se battre pour ce qu’elle est. Franchement, j’ai honte pour elle. Pour le coup, elle me déçoit immensément. Parce que des chagrins gigantesques, de ceux qu’on ne pense pas pouvoir soulever seul, des moments d’égarements, des torrents de larmes, des envies de balancer son corps contre un mur encore et encore, des torsions d’âme, des gouffres béants dans le ventre, elle en a connus et, jusqu’à aujourd’hui, elle a toujours su les affronter seule, debout, avec son courage de petit bout de femme pas bien stable sur ses deux jambes et pas bien nantie au niveau de la sagesse.

Pourtant, ce combat là, il mérite d’être affronté, non ? Au nom de l’amour puissant, gigantesque, incommensurable et sans égal qu’elle a reçu de D., au nom des années passées à se comprendre un peu, des heures à rire, des semaines de complicité, au nom des expositions arpentées, des voyages effectués, des secrets échangés, des plats cuisinés, des vêtements achetés, des douleurs partagées, des heures à se blottir l’une contre l’autre, au nom des “Visiteurs”, de Rabindranath Tagor, de Sifnos, des Petits Plats, de la rue Montorgueuil, des coups de soleil, du chocolat, des tâches de rousseur, du Lucernaire et du Théâtre 13, du passage du Grand Cerf, des Menhuirs, des voitures poubelles, des visions différentes du petit déjeuner idéal, des réveils à l’aube, des morsures, du courage, des bonbons sans sucre, de la glycérine, des insomnies, des nuits sous la tente, des ânes du Poitou, des palmes, du Coca Light, de Hugh Grant, du marché de la Varenne, des samedis soirs, de Desperate Housewives et de 24h Chrono, de Bridget Jones, du scrabble de compétition, des litres de thé, des baguettes de pain englouties, du réglisse, du Lido et de la rue Mouffetard, de Cop’Copine, des bottes violettes (non cirées), des bottes à talons, des converses, des bottines, des chaussures à talon, des chaussures plates, des richelieus, de Chantilly (et au nom de la crème Chantilly aussi), de l’épluche-pommes et du siphon et au nom de la capacité à pardonner, aussi. C. devrait aussi se lancer dans cette lutte, car si les coups lui font sacrément mal, ne pas s’engager dans cette bataille est douloureux aussi. Et puis, j’ai toujours pensé que ceux qui ne savent aimer qu’à en crever n’ont pas vraiment le choix : ils doivent se lancer dans les bagarres de vie quittent à s’amocher, quitte à se péter toutes les dents, à se casser le nez, à s’arracher les cheveux, à s’écorcher, à s’égratigner, à se balafrer et à s’exploser contre des murs.

Vous savez, si pour le moment, C. a les épaules un peu basses, le coeur un peu résigné et le courage qui a résolument flanché, si, pour l’instant, elle n’a juste plus envie d’avoir mal, si elle préfère être lâche et perdre que courageuse, un peu éventrée de peine et, peut être, au bout du compte gagner (contre la vie, uniquement contre la vie), j’espère que cela ne durera pas. Je la préfère inconsciente, laissant son palpitant au bord de précipices, prenant le risque de s’étouffer, de se vautrer au sol, de trébucher et de se péter les lunettes, je la préfère lorsqu’elle a le courage de renatter ce qui a été défait, de retresser, de relier, de reboucher les trous et de construire des ponts, et surtout, lorsqu’elle a le courage, immense, de pardonner.

Je ne sais plus trop si j’ai envie que vous me lisiez, en fin de compte, je me demande si je n’ai pas simplement écrit pour elle cette-fois ci. Je ne sais plus vraiment où mettre ces mots et si ils ont leur place ici. Au début de ce blog, je voulais être un chat futile et amusant, un chat qui fait rire, un chat piquant et ironique et je me retrouve à caracoler parmi les torsions de vie, à me paumer dans les chamades, à me fatiguer à tenter de démêler les noeuds d’acier. Je me suis peut être planté de voie. Si, si, si, les gars, je vous assure, même moi, Jean-Bob le Magnifique, me trompe parfois. Je me demande si je ne devrais pas fermer ce lieu, le barricader ou le laisser à l’abandon afin qu’il soit envahi par les ronces. Alors, ne vous étonnez pas trop de ne plus me voir ici, cela sera peut être, que finalement, je n’aime pas trop ce que j’écris.

Bonne route les gars !


Liste non exhaustive

Le froid qui mordille les joues à les en faire rougir.
Les yeux dans les yeux un peu étourdis de sommeil, pas encore tout à fait ouverts, pas tout à fait fermés, des matins.
L’enchainement esquive rotative – round kick – droite.
« A l’horizon » écouté un peu trop fort dans les transports en commun cahotants – et défaillants –.
Manger d’abord les coins biscuités d’un petit écolier.
Les mots tendres faisant tressauter le blackberry tout au long de la journée.
Rouler à 90 km/h sur l’autoroute, en regardant les couleurs lumineusement émouvantes du petit matin.
L’arc-en-ciel qui vient saluer les enfermés dans les bureaux.
Les joues parfois empoignées, parfois pincées, parfois tapotées et parfois caressées, aussi.
L’instant où la journée rend les armes et où l’on s’allonge sous une couette et contre des masses de tendresse.
Le sang qui fait rugir la vie dans les veines.
Les galères téléphoniques de D.
L’enthousiasme permanent, rayonnant, aussi poignant que les gaietés d’enfants de JN.
La joie gantée, encore un peu désordonnée, mais vibrante de force de PAPG.
L’envie de partager des dizaines d’années avec une personne.
Les post-its de toutes les couleurs. Et les stabilos aussi.
Les tâtonnements endormis du milieu de la nuit pour se re-blottir, se re-caler tout contre ce qui fait rugir, sourire, vibrer la vie.
Les mots tus mais devinés.
Les bilans donnant une valeur nette comptable exacte.
La puissante voix d’Adèle rebondissant contre les portières du bolide rouge.
Se retrouver chaque jour dans les mots de Quignard : « La vie de chacun d’entre nous n’est pas une tentative d’aimer, elle est l’unique essai. », et savoir que, « aimer », ça on sait faire.
Les tractions plus-que-ratées.
Les baisers demandés, réclamés et donnés.
Rire à en perdre haleine pour des bêtises au goût du bonheur.
Les foulées pas toujours régulières du Dimanche.
Le sucre roux qui croque, craque, crisse sous les dents, dans les bouchées de crumble.
Les éternuements, provoqués ou non, pas vraiment délicats, pas franchement gracieux mais forcément humains.
Les courbatures inattendues.
S’endormir trop tôt, en se fichant bien d’être ridicule.
Balayer du revers de la main tout ce qui fait grisailler l’être et se contenter de regarder avec ardeur ce qui réchauffe le creux du ventre.
Attacher ses cheveux avec un crayon de papier, en un chignon joyeusement désordonné.
Les noms tout doux n’appartenant qu’à nous.
Dire sans cesse toute la force de ce que l’on ressent, tout l’émerveillement qui nous habite, toute la gratitude qui nous fait chavirer sans retenue, sans fierté mal placée.
La perspective de ressortir bientôt, un bonnet aux couleurs chamarrées.
Les dents qui se plantent dans la chair d’une pomme.
Les touristes, yeux agrandis, cœurs battants, se faisant photographier devant les monuments parisiens.
Les coiffures délicates de A.
Les low kicks travaillés encore et encore sur le sac.
Les « Bonjour », les « Bonne nuit » et les « A ce soir ».
Enlever ses lunettes et prendre congé du monde.
Souffler des nuages de froid blanc.
Les projets à empiler dans son cœur et les futurs que l’on dessine à quatre mains.
Les conventions internationales d’élimination de la double imposition et les définitions de l’établissement stable.
Boire un thé à la menthe devant « 36 quai des Orfèvres ».
Oser se jeter de plein fouet contre l’existence sans se préoccuper des murmures que l’on suscite.
Les regards croisés pétillants lors du brossage des dents.
Les rires tonitruants, à en faire sursauter le voisinage, à en faire sursauter les murs, que l’on laisse éclater.
L’envie de se battre.
Se farder les yeux et porter des talons pour le plaisir enfantin de se sentir illégalement adulte.
Les follement précieuses siestes des fins de semaine.
Les rounds foirés, ratés, où l’on a été touché au lieu de toucher.
Le charme discret de la joie distillée par les statuts Facebook d’Alexandre Jardin.
Se sentir absolument en confiance avec un être.
Savoir que l’on parcourt la bonne route, celle sur laquelle il nous faut être, celle pour laquelle on a été fait.
Le rire qui ferait fondre la glace, qui ferait s’évaporer la pluie, qui donne envie de sautiller de joie de celui qui rit aussi avec les yeux.
S’emplir de l’odeur du pain frais.
Ecrire pour retaper son coeur.
Et aimer inconditionnellement, aussi.

Quand même, cela en fait, des raisons, de vouloir être en vie.

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“Mais que serais-je, pauvre homme, sans tout l’amour qu’on me donne ?”

Les p’tits gars !

Honnêtement, là, tout de suite, maintenant, je devrais sans doute aider C. à rédiger son mémoire – elle a sans doute besoin de mon esprit brillant et novateur – mais j’ai un peu-beaucoup-passionnément-à-la-folie besoin de venir griffonner des mots par ici. On me fatigue, voyez vous, on m’épuise. Et puis cela m’énerve d’avoir une si petite voix – ma voix de lopette comme le dit C. avec une cruauté qui ne vous aura pas échappé –. J’ai envie d’avoir un coffre de ténor, un micro et un ampli réglé au maximum pour lui hurler :

« Meuf ! Tu ne veux pas arrêter 30 secondes d’être aussi ingrate ? Dans la vie, sur les bancs de la fac, parmi les pages des livres, tu as toujours eu la chance d’aller exactement où tu voulais. Tu voulais être avocate, tu es à quelques mois de le devenir. Tu voulais du travail qui te poserait parfois des difficultés, qui froncerait tes sourcils et qui te ferait plisser les yeux : tu en as. Toutes ces années, à errer dans les couloirs de l’université, chargée de lourds volumes, tu rêvais du monde du travail et n’avait qu’une hâte, celle d’y entrer. Voilà, tu y es. Mais, sans surprise, égale à toi-même, tu y trouves des choses à redire. Tu sais que tu ne devrais pas.

Dois-je prendre le temps de te rappeler tout ce que tu as foutu en l’air durant ces vingt-trois années. Tu étais certes un peu aidée parfois – mais, l’excuse des influences n’est plus valable, tu t’es débarrassée des liens du sang, du respect aveugle que l’on voue, jeune, aux mots de nos parents – mais cela a toujours été surtout toi la responsable. Dés que tu as quelque chose, dés que tu vis des bouts de bonheur, dés que tes morceaux d’existence sont coloriés, dés qu’ils ont fait des réserves d’aquarelle, dés que tes trente-deux dents peuvent être aperçues dans tes sourires, dés que tu accomplis quelque chose, tu t’acharnes à le casser en petits morceaux pour être certaine de contrôler le moment de la perte de ce « quelque chose ». Espèce de lâche, va ! A croire que tu n’as même pas le courage de te battre pour ces parcelles de joie. Dois-je te rappeler tout cela ? Te le hurler jusqu’à ce que tu cesses de te boucher les oreilles. Parce que tu as peur de l’entendre, tu as peur de te souvenir de ta capacité à tout briser, ta capacité incroyable à te carapater subitement dans un recoin de toi-même en lâchant tout ce que tu avais réussi à attraper. Parce que c’est plus simple, parce que c’est plus facile et parce que c’est moins fatigant.

Je sais bien ce que tu vas me dire : que tu n’agis pas toujours ainsi et que tu en as eu la preuve ces derniers mois. Tu as trouvé un quelque chose qui te fait vibrer comme jamais. Tu ne ressens pas le besoin de te battre, car tout est naturel et aisé mais pourtant tu sais – et je sais que, pour ce quelque chose là tu ne te trompes pas – que tu serais prête à combattre jusqu’à t’écrouler au sol pour protéger ce que tu vis là. Tu serais prête à être ensanglantée, à assister sans te boucher les oreilles à des feux d’artifice, à te raser la tête, à te briser les os, à brûler des livres, à rouler à 200 km/h, à plonger en plein hiver dans de l’eau glacée, à te brûler, à renoncer à dormir, à te passer de chocolat à vie, à donner tout ce que tu possèdes, à avoir chacun de tes muscles douloureux, à traverser des boulevards sans lunettes et même à te taire lorsque tu as envie de parler. Je sais que tu combattrais sans relâche, par tous les moyens à ta disposition – et même ceux que tu n’as pas –, je sais que tu aurais assez de force pour cela, que tu aurais du courage pour cela. Mais tu devrais trouver un peu de force pour les autres fils de ta vie, aussi.

Trouver un peu de force pour ne plus écouter les mots qui blessent de D., pour cesser même de les entendre. Assez de courage pour accepter que vous ne savez plus évoluer l’une près de l’autre. Admettre que c’est cela grandir, parfois. C’est ne plus pouvoir renouer des nœuds car ils ont été tranchés trop violemment et cesser de tenter de retresser ces liens.
Trouver de la force pour t’accrocher encore un peu aux livres de droits, pour regarder ailleurs lorsque tu entends ce qui te donne envie de défoncer des murs à coups de pied, pour chantonner dans ta tête lors des discussions qui te semblent vides de sens et tristes. Avoir assez de foi pour garder en tête tout ce que tu aimes dans ce que tu fais. Pour te rappeler que tout le monde n’a pas la chance de faire quelque chose qui l’intéresse, que rien n’est jamais parfait, et que, de toute façon, tu n’as pas vraiment le choix et que si tu veux changer les choses, c’est à toi d’agir, de te lever, de courir, de bouger, sans attendre que le monde s’agite tout seul autour de toi.

Trouver de la force, enfin, pour faire taire tout ce qui murmure insidieusement en toi, qui te casse le moral, qui te pique le cœur, qui te sale les larmes. Ces voix qui débitent des mots qui te fracassent un peu, qui te piquent les yeux et t’écorchent l’âme. Je ne croyais pas devoir te dire cela un jour, mais franchement, sois un peu indulgente avec toi-même – même si tu as bien raison de te trouver insupportable. Moi, personnellement, je ne te supporte pas. –. Accepte le fait que tu ne sauras jamais gérer certaines choses, que tu es brutalement imparfaite, que tu manques résolument de classe et de grâce, que tu n’as pas les épaules assez fortes pour supporter certaines choses. Accepte cela, en te rappelant toutefois que tu n’es pas non plus une petite chose fragile, tu n’es ni menue, ni délicate, ni attendrissante. Tu as passé 23 ans à encaisser des coups et à te carapacer, tu as passé 23 ans à te forger des armes, à mettre au point tes stratégies de bataille. 23 années à te relever sans cesse, alors, les batailles cela n’a plus vraiment de secret pour toi et tu sais les mener sans renforts, sans cavalerie accourant à ton secours, sans bouclier et en première ligne.

Enfin, souviens toi de ce qui arrive lorsque l’on s’est tant recroquevillé dans un coin de soi que l’on n’arrive plus à ressentir quoi que ce soit. Rappelle toi que tu préfèreras toujours finir tes journées lessivée, essorée, épuisée, un peu blessée parfois, souvent découragée, et énervée, aussi qu’être de ceux que plus rien ne touche, qui passe à coté de leur vie en s’agrippant à la froideur. Rappelle toi de la peine que tu ressens pour ces pauvres paumés qui savent nouer des cravates avec une élégance anglaise mais qui ne savent plus comment adorer la vie à en perdre la tête.

Sois reconnaissante, s’il te plait. Fous moi la paix avec tes ronchonnements. La ferme. Tais toi. Franchement, TA GUEULE. ».

Voilà pourquoi j’ai besoin d’une voix que l’on entend : il faut qu’elle m’entende, l’idiote et qu’au lieu de parler sur tout ce qui lui donne l’impression d’être résolument gris, elle s’assourdisse de « Merci ».


“Mais qu’est ce qu’tu veux qu’j’te dise ?”

Salut les gars,

C’était la rentrée, il y a peu. Soudain, cela me frappe : cela fait cinq ans que je suis arrivé dans mon pavillon de banlieue. Ce n’est pas si énorme que cela – mais à mon échelle de chat, c’est immense – et pourtant, c’est une éternité. Comme il ne fait plus vraiment chaud, je me pose sur un coin de couette, la tête entre les pattes et je fais un petit tour de carrousel au milieu de mes souvenirs et me voici tout dépaysé. C’est que les choses ont bien changé et si je reconnais toujours la C. qui m’a accueillie en me disant que même si j’étais « redoutablement laid » (Ouh ! la menteuse ! J’étais magnifique, bien entendu.), elle allait s’attacher à m’aimer, même si je retrouve au coin de ses sourires ses airs de gamine un peu paumée ; je ne peux m’empêcher de me frotter les yeux des coussinets face aux multiples changements que je peux observer.
Il y a cinq années, elle vacillait beaucoup et tâtonnait constamment, recherchant maladroitement ce qui allait lui convenir et ce qui allait être son avenir. Elle n’avait pas encore enfilé ses gants de boxe, pas encore enroulé de bandes autour de ses mains, elle n’avait pas encore découvert les moments trempés de sueur et merveilleux de silence. Elle se retrouvait encore bien trop souvent à hurler d’impuissance et de rage refoulée, parfois les mains en sang de les avoir trop balancées contre un mur, souvent le cœur furieux de n’avoir pas su placer sa colère là où elle se devait d’être et de l’avoir jetée avec fiel et violence contre ses parents, un peu égarés. Aujourd’hui, cela fait bien des mois qu’elle n’a pas tabassé les murs ou les portes et bien du temps a passé depuis que ceux qui l’aiment malgré tout et qui sont là depuis plus de vingt-trois années ont cessé de chercher à retrouver leur chemin. Elle prend le temps de vivre, elle prend les minutes nécessaires pour se sentir bien, pour s’hydrater la peau et le cœur, pour oublier ce qu’elle doit faire, ce qu’elle devrait accomplir. Elle s’offre le luxe d’écarter du revers de la main les « il faut » et les « tu devrais ». Elle se moque chaque jour un peu plus des regards de la masse des autres qu’elle avait pour habitude de craindre plus que de raison. Je n’entends plus vraiment de hurlements d’impuissance et, les moments de rage sont attrapés par le bras et amenés là où ils peuvent exister sans abimer les êtres autres que C. Certes, il y a toujours des moments de déraison, des entailles plus ou moins profondes, des gouffres béants, de subits accès de colère aveugle et, certes, parfois ils éclatent si brusquement et violemment que C. n’a pas encore assez de force et de paix en elle pour ne se les infliger qu’à elle-même. Certes, il y a encore toutes ces tempêtes mais le calme est bien là et je peux me coucher bercé par une respiration apaisée, contre un cœur reposé de ne plus avoir à constamment lutter. La plupart du temps, elle a rendu les armes et n’en éprouve aucun regret.
Il y a cinq années, elle était convaincue que, résolument, elle continuerait à emprunter les routes mal famées, à prendre les mauvais tournants, à se tromper de déviations, à se griffer l’âme contre les mauvaises personnes. Elle ne connaissait le bonheur ahurissant que sous forme de montagnes russes. Il arrivait comme une violente déflagration, il avait la violence d’un orage d’été et le gout de fer de la pluie. Il brulait un peu, il piquait un peu, mais c’était tout de même du bonheur. Mais cinq ans plus tard, j’ai vu arriver l’impensable, ce qu’elle ne croyait pas avoir le droit de vivre, ce qu’elle pensait ne jamais pouvoir gouter : le bonheur toujours aussi fort – pardon, encore plus fort -, furieusement puissant, qui fait vaciller, trépigner, sautiller dans la rue, qui fait tout oublier mais sans gout de fer, qui n’assourdit pas tel le son du tonnerre, qui ne trempe pas jusqu’aux os et qui apporte et la joie, et la paix. Le bonheur qui, en gagnant en douceur, en faisant acte de tendresse, en apportant calme et sérénité, gagne en intensité. J’ai l’impression que pour C., quelqu’un a subitement allumé la lumière, quelqu’un a enfin ouvert les lourds rideaux et poussé les volets. Elle me confie avoir l’impression de n’avoir jamais rien vu, de n’avoir jamais su distinguer ce qui comptait, ce qui se devait d’être vu et retenu. Elle a enfin réussi à choper des lunettes à sa vue et elle ne se lasse pas de regarder ce qu’elle vit avec l’émerveillement d’un gamin devant les illuminations de Noël. Et elle kiffe du fond de l’âme.
Bref, C. a grandi – pas énormément en centimètres mais pas mal en existence –. C’est étrange et déroutant de grandir, d’avancer à grandes enjambées fougueuses dans l’existence. Grandir, c’est découvrir toutes les failles de ses parents et ne les en aimer que plus, c’est comprendre qu’ils n’ont pas toujours raison mais que l’on ne peut pas toujours leur dire qu’ils ont tort. Grandir c’est dépasser le stade où l’on adopte systématiquement la même opinion qu’eux, c’est laisser derrière soi l’étape où l’on décide d’être forcément en désaccord avec eux. C’est leur pardonner, c’est laisser tomber certains combats et refuser de baisser les bras devant d’autres luttes, c’est se sentir impuissant face aux fossés creusés entre eux et nous et c’est continuer à bâtir des ponts brinquebalants. C’est les adorer envers et contre tout en connaissant mieux ce que l’on adore.
C. me rappelle que grandir c’est aussi – et surtout – comprendre qu’il est des choses que l’on ne réussira jamais à accomplir, planquer certains rêves d’enfant au fond d’une malle oubliée dans un coin de grenier. C’est accepter que l’on ne sera jamais gracieuse – C. s’est enfin faite au constat que la grâce n’est pas pour elle, elle est de celles qui amusent, qui trébuchent, qui émeuvent par leur maladresse, qui ont des gestes trop grands et qui parlent trop fort et non de celles qui n’ont jamais de faux plis, qui savent restées coiffées en toutes circonstances et qui ont des gestes élégants et délicats –, que l’on ne saura jamais se faire un chignon digne de ce nom, que l’on sera toujours un peu – voire beaucoup – plus passionnée que ce que la décence préconise, que l’on aura beau se mordre la langue, on ne réussira pas à retenir les mots – parfois de colère, plus souvent de tendresse – qui affluent avec force dans notre gorge.
C. me raconte que grandir c’est accepter qu’elle aura beau faire attention, noter des mémos à l’encre à même les paumes de ses mains, tenter de contrôler les moindres de ses gestes, se rétrécir un peu, se recroqueviller un peu, diminuer l’ampleur de ses mouvements, accepter qu’elle aura beau faire tout cela avec ardeur et assiduité, elle restera terriblement maladroite, elle continuera à tout faire tomber, à chuter dans les transports en commun, à trébucher dans les escaliers, à rougir et à sentir ses entrailles se tordre à chaque fois qu’un objet lui échappera des mains. Elle me dit qu’être adulte, c’est renoncer à ce que à quoi l’on croyait lorsqu’on était enfant, c’est comprendre, enfin, qu’il est des choses qui ne seront jamais et qui ne pourraient sans doute pas être.
Mais, me raconte-elle, grandir, pour elle, c’est être bien plus heureuse qu’elle ne l’a jamais été, c’est se foutre royalement de tous ces délires d’enfants auxquels il faut renoncer car ils sont bien moins lourds de bonheur que la réalité. Avaler les années, c’est aimer, c’est accepter, c’est pardonner, c’est comprendre les nœuds emmêlés de ceux auxquels on tient et cesser de tenter de les démêler. Grandie, C. accepte enfin qu’elle n’est pas de celles qui aiment la force, la perfection, les vêtements repassés, les nœuds de cravate Windsor et les grands discours réfléchis, répétés, raffinés, elle accepte d’aimer plutôt les faux plis, les shorts, les abréviations et les fautes d’orthographe, d’aimer bien plus les silences authentiques et sincères plutôt que les déclarations raides, amidonnées, guindées, rigidifiées. Elle assume enfin aimer les fous rires complices devant les failles du corps humains, les fils qui dépassent, les ongles mal égalisés, les lunettes embuées, les mots dits par erreur, les fautes de français, les sautes d’humeur, les failles, les lacets qui se défont, les T-shirts un peu trop grands, les blousons usés, les faux mouvements, les maladresses – gestuelles parfois, verbales, surtout -, les hésitations, la vulnérabilité des petits matins embrumés et le son d’une respiration, aussi. Elle aime ce qui est follement, dramatiquement, tellement, tendrement, adorablement, furieusement et désespérément humain.
Ajouter à sa besace d’autres années de vie, c’est surtout, pour ma paisible enragée de vie, tendre les clés de son être à quelqu’un et lui dire « Voilà ce que je dis, voilà ce que je suis et tu peux en faire ce que tu souhaites. », c’est se déverrouiller totalement, c’est tatouer son code d’alarme sur la peau de l’être qui a déjà ses clés, c’est lui confier ce qui la définit, c’est se donner totalement, dans tout ce qu’elle a de faillible, de faible, de raté, de mal planté, de disgracieux, de non harmonieux, c’est accepter de se reposer entre les paumes de cet être là, c’est se laisser aller à jeter au loin toutes les protections qu’elle s’est épuisée à ériger, c’est déposer les armes, c’est être nue et sans peur. C’est « renoncer à la force » (M. Kundera ») car elle sait que dans ce que elle est en train de vivre, la force ne lui est d’aucune utilité.
Entrer dans le monde adulte, c’est conduire son petit bolide rouge, c’est porter des vestes de tailleur dans un bureau, c’est, certains soirs, avoir envie de balancer les dossiers qui encombrent sa table, c’est se ficher royalement de n’être pas dévorée par l’ambition, c’est sentir les larmes affluer dans sa gorge devant un site internet empli de photos rayonnantes de joie, devant le cliché d’une étagère vide, c’est ne jamais se lasser de la tendresse qu’elle reçoit et ne jamais se lasser de donner de la tendresse, c’est cesser de s’excuser de ce qu’elle est, c’est couper des ponts, c’est laisser des êtres sur une autre route que la sienne et cesser de s’en préoccuper, c’est être fourmillante de vie et dévorée de bonheur. C’est surtout avoir trouvé sa place et s’y blottir le plus souvent possible en remerciant le ciel, la terre, la vie, le destin, le hasard et celui qui joue du piano sur ses côtes de lui avoir montré la voie de ce miraculeux chemin d’existence.


“Pourquoi, pour rêver, faut-il attendre que l’on dorme ?” (La sagesse de Kery James)

Les poteaux ! Je me casse en vacances dans le jardin du voisin, je suis en RTT, je me barre, je profite du soleil et soigne mes oreilles un peu cramées par le soleil brûlant du mois de Juillet. Les gars, soyez forts, je vais vous abandonner pour quelques temps, je vais délaisser mes chroniques. Pire encore, je vais laisser C. en prendre les manettes pendant que je me dore au soleil. Oui, je sais, c’est dur mais je sais bien que mes lecteurs ne peuvent pas n’être qu’une bande de lavettes. Alors on respire un grand coup et on sourit. Allez, salut, à dans quelques semaines travailleurs du mois d’aout ou vacanciers en vadrouille. Rideau. A C. de parler :

« Salut la Vie,

Je squatte le panier virtuel de ma bête velue pour t’écrire quelques mots. Cela fait longtemps que l’on ne s’est pas parlées toi et moi. Normal. En général, lorsque je prenais la peine de te déranger, c’était pour te faire part de mes montagnes russes, de mon cœur subitement descendu dans mes chevilles, de mon courage écrasé par la vitesse, de mon épuisement moral et physique et pour te dire merci, quand même un peu. Mais les remerciements que je t’adressais ressemblent à des moutons de poussière dans un coin de pièces par rapport à la gratitude immense, qui ne sait pas très bien où se mettre tant elle est gigantesque, que je trimballe avec moi ces derniers temps. Cette gratitude qui ne cesse de grandir, qui devient chaque jour un peu plus imposante, dont la taille est à chaque heure un peu plus indécente. Je l’ai partout à mes cotés : elle encombre un peu plus les transports en commun – et lorsqu’ils sont vides, elle prend trop de place pour s’asseoir à coté de moi, elle est obligée de se mettre en face pour avoir deux sièges pour elle toute seule -, elle prend toute la place dans mon lit, je la pose à coté de mon sac lorsque je mange, elle se tasse dans un coin de mon bureau là où je travaille, elle prend toute la banquette arrière de ma voiture – et elle dépasse un peu dans le coffre –, elle a du mal à passer les portes et elle se cogne partout. Le monde n’est pas adapté aux gratitudes telles qu’elles, de celles qui naissent tellement peu souvent qu’elles sont devenues des légendes urbaines, des contes que l’on se raconte autour des feux de camp, des mythes.

C’est parce que tu es si rarement aussi généreuse avec quelqu’un, la Vie. Pas de reproche dans mes mots, tu n’en as pas les ressources, pas le temps, pas les moyens. Et puis, tu es censée partager le bonheur entre nous tous, non ? En parts un peu inégales, certes – tu devais avoir du mal avec les fractions, la Vie. –, mais cela reste un partage. Pourtant, je ne sais pas pourquoi mais tu as décidé de me donner la ration d’un régiment entier. Non, de trois régiments. Non, attends, d’un bataillon entier. Tu n’as de cesse de me lancer, sans compter, sans te retenir, sans en garder pour les autres, sans en réserver pour plus tard, des brassées d’euphorie.

Alors, forcément, j’étais obligée de t’écrire. Tous les frissonnements de mon corps me disent de baisser humblement la tête devant toi et de te dire « merci ». Merci. Merci, merci, merci, merci, merci. Bien sur, elle est encombrante cette gratitude sans commune mesure, mais je suis ravie de l’avoir. Tu sais, je n’ai jamais cru que cela m’arriverait un jour de vivre cela. D’ailleurs, je n’avais même pas vraiment imaginé que cela puisse m’arriver. Je ne savais tout simplement que cela pouvait arriver à quelqu’un de trouver sur le chemin caillouteux et un peu escarpé de l’existence, exactement ce qu’il lui fallait, exactement ce dont il avait besoin. Pourtant, tu vois, tu me l’as offert : la brise qui fait respirer ma canicule, l’épice qui va parfaitement avec les mélanges parfois banals, parfois périlleux que je fais, le mug dans lequel verser le thé qui embue mes lunettes, les bandes qui sont faites pour mes gants de boxe, le soleil qui vire mes nuages mais ne me brûle pas la peau, l’éclat de mes rires qui ne se brise jamais, la quantité parfaite d’essence d’amande amère pour mes gâteaux, l’étui qui emboite exactement mon téléphone, le sommeil profond qui prend la place de mes insomnies, le livre que je ne me lasserai jamais de lire et dont chaque mot résonne en moi, le manteau qui m’empêche de grelotter, la veilleuse qui chasse mes peurs nocturnes, les lunettes de soleil qui me déséblouissent sans m’assombrir, le plein pour mon vide, quoi (mais si, tu sais, ce vide qui m’obligeais à le combler de mots).

Tu sais, la Vie, cela me donne un peu le vertige – mais un vertige agréable, comme une sensation chaude au creux du ventre ou au creux du cœur –. On ne m’a pas prévenu que je vivrais cela un jour, on ne m’a pas montré d’exemple de ce « ça » dans la rue ou au détour des lieux que j’ai visités et auprès des personnes que j’ai rencontrées, on ne m’a pas donné de cours ni de manuel d’utilisation. On m’a simplement balancé cette chance phénoménale et ce bonheur bien trop immense pour être réduit au mot « bonheur ». Pourtant, tu savais bien que je suis de ces êtres un peu paumés face à l’existence et qui, pour compenser, balisent tous leurs sentiers. Je suis de ceux qui font des listes, qui aiment prévoir les choses à l’avance, qui aiment tout organiser, je suis de ces paniqués qui détestent les surprises et aiment à savourer les attentes des choses prévues longtemps avant. Je n’improvisais qu’en cuisine et sur les planches de théâtre. Ailleurs, je répétais tout des millions de fois avant d’agir, avant de dire, avant de faire, avant de me laisser aller à marcher vers quelqu’un d’autre. Tu savais tout cela et pourtant tu m’as attrapée et mise dans ce lieu nouveau et inconnu, sans guide, sans plan et sans boussole. Tu as débranché quelques câbles en moi, aussi, pour que je ne puisse plus tout prévoir et dessiner dans mon esprit des arbres d’alternatives possibles. Tu m’as laissée dans ce magnifique inconnu car tu savais que je ne l’arpenterai pas seule et qu’il n’y a pas d’aventure plus merveilleuse que cet incroyable lâcher prise. Tu étais aussi consciente du fait que si tu avais essayé de m’en parler avant je ne t’aurais pas crue, je ne t’aurais pas même écoutée. Je t’aurais regardée d’un air incrédule et aurais haussé les épaules en marmonnant « je suis naïve, mais pas à ce point. Quand même. ».

Tu comprends donc qu’il me fallait t’écrire, pour te dire qu’à chaque bond de l’aiguille sur le cadran de l’horloge, je suis un peu plus consciente de ma chance. Je sais que certains passent une vie entière à trouver la clef de voute qui fera tenir leur édifice, je sais que beaucoup ne connaissent jamais le repos qu’il y a à se sentir et à se savoir à sa place. Tu m’as donné tellement vite les bonnes indications routières, la Vie. Je sais bien que je n’ai que vingt-trois ans et quelques mois, que je n’ai pas accompli grand-chose, que je ne connais pas vraiment le monde qui m’entoure, que je trébuche souvent, que je ne sais pas manger correctement, ni faire un barbecue, ni marcher droit. Et pourtant, tu es si férocement généreuse avec moi que cela me fait défaillir, que cela me fait tressauter le cœur et que cela me donne envie d’ouvrir ma fenêtre et de sauter sur les toits parisiens en chantant. Comment pouvais-je ne pas t’écrire ? Comment pouvais-je ne pas te hurler des « Merci » en pagaille. Des merci pour les montées sur la butte du parc, pour la glace « strawberry cheesecake » et « pralines-chocolate-cookie », pour les suées en vélo, pour un flan aux poires, pour « kestuvafaire », pour l’envie de donner, pour le plaisir de recevoir, pour les tomates séchées et pour le meilleur des éveils de ma vie sur un futon. D’autres « Merci » pour les bancs bancals près de la Marne, pour les repas partagés, pour « maaaange », pour le sentiment d’absolu qui accompagne la complétude, pour le khol et le mascara – et pour les pantacourts, aussi -, pour les pignons de pin, pour les sonneries qui empêchent de faire « un truc de ouf ‘ », pour les cheveux qui s’accrochent partout, pour le four que l’on arrête et pour les listes de projets qui noircissent des pages de cahier.

Franchement, tu es une vraie pote. Mais qu’ai-je donc pu faire dans ma vie précédente pour avoir droit à de tels shots de chance et à une telle intraveineuse de joie dans cette existence là ? Ou bien n’est-ce pas une rétribution mais le numéro formidablement gagnant de la loterie du Monde ?

            Je pensais me connaitre, je pensais me sentir vivante et pourtant, je n’avais encore jamais été aussi puissamment et totalement moi-même – et, surtout, aussi réconciliée avec le fait d’être ce « moi-même » qui me terrifiait tellement – et chaque jour, je réalise un peu plus ce qu’est respirer, ce qu’est exister, ce qu’est marcher dans la rue, ce qu’est croquer dans un glaçon, ce qu’est regarder par la fenêtre d’une voiture, ce qu’est s’étirer le matin. Je découvre la sensation d’être vivante. Moi qui me disais gargouillante de sang et cassante d’os, je ne connaissais pourtant pas encore cet afflux de sang dans mes veines, je n’avais encore jamais senti avec autant de force chacun de mes muscles se bander, se contracter ; jamais encore réalisé le poids de mes os ni le contact de mes vêtements sur le grain de ma peau, jamais encore senti de toutes mes terminaisons nerveuses un souffle sur ma nuque et la légèreté de doigts sur mon visage. Je me disais follement emplie de vie mais je n’y connaissais rien et n’étais certainement pas emplie. Je comblais simplement de broutilles, de détails, de contrôles et de prévisions les gouffres au creux de mon ventre, derrière mes épaules, et là où les côtes deviennent flottantes.

            Finis les comblements, fini le remplissage, fini le contrôle permanent, fini la retenue physique et verbale, fini le recours à la tête plutôt qu’au corps. La vie, tu m’as balancée dans un lieu où je chante des chansons niaisement débiles, ridiculement stupides, à tue-tête, parfois un peu faux, en me dandinant furieusement sur un vélo pourvu d’une clochette rose, savoureusement rétro’ et au riant son de cloche de vache. Tu m’as enfin connectée au présent, arrachant les câbles qui me faisaient regarder trop longuement le passer et anticiper trop méthodiquement l’avenir. Tu as mis le bagnard dont j’avais besoin sur ma route afin que, par lui, par ses rires foudroyants et les étincelles de tendresse au creux de ses pupilles, je sache enfin vivre le maintenant – le plus précieux des instants –, sans pensées destructrices de sensations, sans doute, sans crainte, sans retenue, sans contrôle, sans camouflage, sans bras croisées contre ma poitrine, sans sourcils froncés, sans peur d’avoir mal ou du ridicule. Tenant seulement la main droite de la félicité et la main gauche de la sérénité. Et sifflotant en dormant.

            Je suis hébétée de gratitude d’avoir le droit de goûter tout cela. Essorée de reconnaissance face à un vélib’ et la Tour Eiffel, au goût des graines de fenouil, aux plaids étendus sous les arbres, aux quizzs de géographie, à mon cœur qui prend enfin le pas sur ma tête – et qui n’en fait qu’à sa tête, justement –, aux tressautements du sommeil et face à certains formidables talents d’imitateurs.

            Voilà, la vie, globalement, je voulais te dire merci avec toute la force que j’ai en moi, avec toute la fureur dont je suis capable, avec toute l’énergie que je peux réunir, avec toute la sincérité qui brûle mes veines. Merci d’avoir tressé ma vie avec la sienne. Merci d’avoir fait de moi une « trouvée ». Merci pour tous les sons du jouet. Meuf’, merci, tu as vraiment géré. »

happyday

(“Mouah ! Fuuuuuu”)


Chut. J’aime le silence.

Bon, les gars, c’est officiel, les gens heureux m’énervent.

On dirait que C. s’est jetée sur des étagères remplies de bocaux de joie et qu’elle a tout emporté, sans rien laisser aux autres, sans se préoccuper de la disette qu’elle était susceptible de créer. Egoïstement. Egocentriquement. Elle n’a même pas la place de stocker tout ce bonheur : à quoi pense t’elle ? Elle pense à un coup de soleil sur le nez, à un zoo-humain, à une île emplie de perroquets, à des entrainements, à des complicités qui se tressent serrées et à des yeux qui sourient. Elle a définitivement la tête ailleurs, dans un quelque part résolument ensoleillé, un quelque part qui sent l’été et où le temps pique constamment des sprints ahurissants. Ce lieu un peu ailleurs, un peu planqué aux yeux de tous, tellement cher à son coeur, elle le garde jalousement et ne le partage qu’avec celui qui chasse toutes les choses un peu étranges qui gravitent autour de lui. Moi, face à ces sourires béats, stupides, immenses, à trente-deux dents, égarés de félicité, je m’ennuie. Je sais que j’ai tendance à me plaindre de la C. qui s’ensanglante les poings contre les murs, de la C. qui inflige à son palpitant des risques considérables, pourtant, elle m’intéresse plus que la C. qui semble rayonner entre ses côtes. Mon illuminée ne me pourchasse pas pour déverser son coeur dans mes oreilles grandes fermées et, vous savez, cela me faisait passer le temps. Et puis, c’est indécent toute cette joie, non ? C’est trop. C’est de la provocation. Se rend elle au moins compte de la chance qu’elle a de vivre ces jours ahuris ?  Sait elle à quel point il est rare et précieux de recevoir un tel présent de la vie ?

Et puis, ce qui est rageant, aussi, c’est qu’on dirait bien qu’elle a trouvé son lieu de paix. Vous savez, ce lieu, pas forcément physique, pas forcément localisable sur une carte, cet endroit qui est parfois au creux de bras, parfois contre des poings, entre deux battements de coeur, au milieu de la cadence des accélérations uppercuts et parfois sur les mini-dunes de sable d’une plage trempée d’eau. Ce lieu qui donne envie d’arrêter les gens dans la rue pour leur expliquer que, ça y’est, c’est bon, on sait que l’on appartiendra à cet endroit précis, que l’on est tout à fait là où l’on doit être. C. frissonne constamment d’avoir trouvé cet “ici” qui n’est plus un lointain “là-bas”. Cet ici où elle est toujours rattrapée fermement lorsqu’elle tombe, se vautre, s’écroule, cet ici où elle se fiche d’être ridiculement elle-même, où elle se laisse aller à déborder totalement, à ne plus s’acharner à essayer de se nuancer perpétuellement. C’est le lieu où elle sent qu’elle respire paisiblement et que, pourtant, son coeur tambourine. Bref. Les gars, ma blonde vénitienne un peu absurde se sent bien. Elle effleure du bout des doigts le sourire immense qui s’offre à elle et se sent un peu plus émerveillée à chaque seconde. Mais, au milieu de son lieu de paix si coloré, si humainement vivant, si fracassant, qui donne une folle envie de passer des nuits blanches, au milieu de son lieu qu’elle ne quitte plus, qu’elle rejoint alors  qu’elle est encore dans les fumées du sommeil, qu’elle appelle du bout du coeur lorsqu’elle se sent à l’étroit dans les transports en commun et qu’elle presse contre ses pauières en s’endormant, au milieu de cette rue à laquelle je n’ai pas accès, elle n’a plus besoin de moi. Elle a tout ce qu’il lui faut pour déguster de la joie – elle a même bien plus que ce qu’il lui faut mais elle s’en fiche, elle ne partage pas -. Elle garde serrées entre ses bras – joufflus – toutes les tranches de son bonheur et elle en récupère les miettes du bout de l’index. Elle tient contre elle les lèvres mordues, les jambes noircies par la chaine du vélo, la station “Saint François-Xavier”, les photos dans la lumière rougeoyante de la fin du jour, les randonnées près des chateaux illuminés, les réservations de TGV, les sièges de camion qui permettent de se blottir contre une autre respiration, la musique de Shurik’n, les clins d’oeil, les projets qui donnent envie de dévorer l’avenir, les chamades de son coeur, le goût des glaçons d’un autre verre que le sien, l’envie de rendre follement heureux l’être qui aime à l’empêcher de rouler ses bandes, les routes prises à contresens, les footings sur les bords de Marne, les rounds de toute sorte, les pattes d’ours, les coups de poings sautés ratés et les éternuements face à la lumière.

   Elle a l’air tellement stupide, tellement idiote, tellement ahurie ma myope blonde. Stupide, idiote et ahurie car découvrant subitement, avec violence et fougue, le miracle de lâcher totalement prise aux cotés de quelqu’un, d’accepter de lâcher manettes, volants, levier de vitesse (et frein à main, surtout). Elle a coupé son harnais de sécurité (elle n’a plus peur de tomber), elle a laissé son gilet de sauvetage sur la rive (elle sait qu’elle ne se noiera pas), elle a crevé sa bouée (elle s’en fiche d’avoir l’air ridicule si elle boit la tasse et que de l’eau lui sort par le nez), elle a arraché ses protections (de quoi se protégerait-elle ?), elle a coupé l’alarme incendie, elle ne se verrouille plus, ne met plus ses loquets et ses chaines, elle ne regarde plus vraiment les panneaux de limite de vitesse (ni ceux avant les virages dangereux), elle détache sa ceinture de sécurité, elle ne met plus d’écran totale indice 50, elle ne réfléchit plus avant d’agir, elle a jeté en riant tous les plans indiquant des issues de secours, elle ne répète plus une centaine de fois la phrase qu’elle brûle de dire ou d’écrire avant de se décider à la dire ou à l’écrire (mais édulcorée, désépicée, dépimentée, tiédie) et, à force de bonheurs partagés, elle a abattu les murs de pierre bâtis au cours des années autour de ce qui palpite en son être. Elle les a détruits en n’ayant pas peur de s’écorcher les mains, de se mettre de la terre sous les ongles, d’être cramoisie et en sueur. Elle les a cassés avec toute la force de ses vingt-trois ans timorés, avec toute la puissance de ceux avec qui la vie a décidé d’être immensément généreuse.

Elle fait l’expérience de la dé-rigidification, de la déplannification, du ressenti à l’état pur sans la pensée perpétuelle qui amincit, réduit, diminue tout.  Elle se fiche de ne plus avoir de barbelés et de pont-levis, elle découvre à quel point il est magique d’accepter d’être absolument vulnérable, totalement à la merci du bout de monde que la vie a mis sur son chemin.  Elle découvre l’existence sans armures, sans sourire forcé, sans masque, sans maquillage, sans mots, rires ou sanglots refoulés au fond de sa gorge. Elle aime tant avoir trouvé le regard dans lequel elle peut se montrer follement ridicule, résolument stupide, ignorante – inculte ! -, rouge d’effort, poisseuse de transpiration, cernée certains jours, débraillée, décoiffée, les vêtements froissés et les lunettes de travers. Elle peut faire des fautes de français et des plaisanteries stupides, elle peut ne pas savoir des millions de choses, elle peut trébucher, elle peut avoir les mains écorchées, les jambes pleines de bleus et elle peut ne pas savoir faire de marches-arrières. Elle se donne le droit d’être vorace, de se foutre de la glace partout lorsqu’elle en mange, d’être répugnante de crasse après quarante kilomètres de vélo, d’avoir un ventre qui se manifeste avec impolitesse, de dire tout ce qu’elle pense sans faire de tri entre les absurdités et les paroles de raison, de ne pas résister à hurler ce qu’elle ressent si puissamment, de dire quand elle est épuisée et de raconter les baffes que la vie lui a données.

Elle se sent tellement incroyablement libre, lecteurs. Après 23 ans à se refouler derrière les digues de ce qu’elle croyait être la bienséance, après ces années à avoir eu parfois tellement mal qu’elle tentait, un peu en vain, de jeter de l’eau sur ses flammes pour ne pas tout incendier autour d’elle, après 23 ans à s’intimer l’ordre de se taire, à essayer de ne pas faire de mouvements trop brusques pour masquer sa maladresse, à croiser les bras sur sa poitrine, à se montrer par moitié – voire par tiers ou par quart -, elle s’autorise à être pleine et entière, à supprimer l’email d’une perdue de vue depuis longtemps, à ne pas faire de concessions, à être follement banale, sublimement ridicule, merveilleusement humaine. Pardon, lecteurs, je fais erreur lorsque je dis qu’elle se donne le droit ou qu’elle s’autorise à faire tout cela. Ce n’est pas vraiment son œuvre – ou alors c’est un œuvre peinte à deux –, c’est là le travail de celui qui construit de la confiance tout autour d’elle, qui lui jette des brassées de paix, qui la déconnecte, enfin, de tous les bruissements épuisants de sa tête, qui, en plus de lui écarquiller les pupilles, la dévoute, lui entrouve les côtes, permet à son corps de s’affaler totalement, d’abandonner toute résistance, tout réflexe combattif. C’est tellement reposant pour  C. qui ne savait vivre que tendue continuellement, un peu (beaucoup) raide, totalement rigide, s’amidonnant tout l’être et ne sortant pas sans ses tuteurs, son agenda et des indications pour des itinéraires secondaires. Même si elle ne sait toujours pas marcher droit, il semblerait que depuis un soir de juin, elle a trouvé de l’équilibre. Elle n’a plus peur, lecteur, et elle ne savait même pas que cela était possible de vivre sans frousse. Et de cette vie là, sans chaine et sans boulet, sans terreur nocturne et sans chevilles foulées, sans cœur enterré dans la terre meuble du jardin et sans mots censurés, elle ne voit pas vraiment comment elle pourrait s’en lasser.

Bon les gars, après vous avoir montré que, globalement, Han  Solo et Leïa peuvent aller se rhabiller, je m’en vais la regarder frissonner de joie.  


“Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir.” (Le Petit Prince)

Salut les p’tits gars !

Il grisaille terriblement et, franchement, je ne suis pas non plus un fervent amateur de la pluie. Nous autres, les félins, ne pouvons mettre d’imperméables et je n’ai jamais trouvé de parapluie à ma taille. Vous vous demandez certainement pourquoi je vous parle ainsi du temps qu’il fait (comme si cela intéressait quelqu’un !). Patience. J’y viens. Face à ces intempéries, je me vois dans l’obligation d’errer, tel un miauleur en peine dans ma maison, bref, ne pouvant chasser, je dispose d’une abondance de temps. Du temps pour squatter le clavier de l’ordinateur de C. Je lui ai fait une fleur, lorsqu’elle s’est cassée à quelques milliers de kilomètres, je n’ai pas inondé le net de mots sur sa vie, je lui ai accordé une trêve, un instant de paix. Après tout, c’est ce que je pensais qu’elle allait chercher dans cette île colorée aux parfums d’encens et de cigarettes aux clous de girofle. Lecteurs attentifs, vous avez sans doute constaté que j’utilise le passé (avec une dextérité sans pareille dans le maniement des mots, je sais, je sais). C., en rentrant, les yeux un peu illuminés, un peu embrumés, les pieds un peu ensanglantés d’avoir trop brûlés et marchés, m’a détrompé. Pour la première fois durant ses 23 années de vie, elle ne court pas partout à la recherche de paix. Elle en a à disposition, si elle le souhaite. Elle réussit à imposer un merveilleux silence en elle. Bien sur, ce n’est pas toujours évident que de tisser cette paix, et puis, il y a toujours des échos de panique qui se font entendre, mais, globalement, son palpitant bat, par instants, régulièrement. Mais alors, qu’est elle allée faire de l’autre coté du Monde ? Pourquoi est-elle allée se décaler de  six heures, pourquoi Ubud et ses rues encombrées mais férocement vivantes ? Pourquoi le piment qui fait monter les larmes aux yeux et dont l’eau ne calme pas la brûlure ? Pourquoi les villages de pêcheurs, les rizières parfois terreuses, parfois boueuses et le goût de la noix de coco ? Alors, bien entendu, il y a l’envie de découvrir des ailleurs, d’avoir les yeux qui ont mal face à tant de beauté, le goût d’apprendre tous ces gens venus d’ailleurs, de les froler du regard, de les écouter se raconter des heures durant. Il y, également, son coeur qui tambourine à s’en décrocher devant les rizières, il y a son envie de tout voir, de ne surtout rien manquer, les réveils au petit matin pour marcher dans les pierres humides et admirer des levers de soleil qui font tressailler le coeur. Il y a la magie miraculeuse des lieux que l’on ne connait pas, les muscles fourbues après des journées à errer sans cesse et il y a les regards, surtout.

Mais si elle est partie si loin, si elle a emprunté les sentiers glissants et relativement dangereux sur les flancs des volcans, si elle s’est épuisée dans les rizières, s’est recouverte de terre sur un scooter, si elle s’est tassée contre le hublot d’un avion pour dormir, ce n’est pas uniquement pour tout cela. Elle me l’avoue du bout du regard, du bout des doigts lorsqu’elle frole mon pelage, elle l’admet en se mordant les lèvres, en haussant les sourcils, en rafistolant ses lunettes engluées, en parlant trop pour mieux se taire. Bali, ce fût pour Bali, certes, mais aussi pour tester son courage. Elle s’est poussée violemment dans un ailleurs pour fuir loin de sa lâcheté originelle (Ô ironie !). Elle a essayé de tisser aventurière, vraie baroudeuse, amatrice d’imprévus, sans peurs, sans craintes, sans paniques. Elle qui aime tant que tout soit prévu, qui se recroqueville face à ce qui n’était pas écrit et qui brise des mots de rage contre les poitrines de ceux qui veulent la tirer loin de son trajet habituel, elle s’est dit qu’en se faufilant dans les ruelles encombrées et polluées des villes asiatiques, elle assouplirait ses sens. Ainsi, durant deux semaines, elle a (presque) tout baillonné en elle, a appliqué violemment ses mains contre les bouches qui voulaient protester au creux son ventre et a assomé ses détraqueurs. Elle a mis son sac à dos et s’est jetée dans le monde et, certains jours, elle a pris des risques inconsidérés et stupides.

Voyez-vous, lecteurs du week-end, à 23 ans, on espère encore pouvoir devenir celle que ceux qu’on aime passionnément, ceux qui sont là depuis le départ, qui nous supportent tant bien que mal (plutôt mal que bien, ces derniers temps, pour C.), celle que ces créateurs de vie, ces parents, veulent que nous soyons. A 23 ans, on croit encore que l’on peut arranger les choses, que l’on peut les réparer avec de la ficelle et de la colle, qu’on peut les rafistoler avec du scotch, qu’on peut les recoudre avec du gros fil, qu’on peut suturer les plaies, qu’on peut anesthésier les peines, que l’on peut combler les fossés (les ravins), que l’on peut construire des ponts entre eux et nous. A 23 ans, on est prêt à tout pour que ceux dont l’opinion nous construit, ceux dont les mots comptent à nos yeux, sentent leur coeur se gonfler de fierté. Lourde de ces vingt-trois années, C. y croit encore, un peu stupidement, un peu naïvement, elle pense toujours que c’est réparable. Alors, par instants, le temps d’une soirée – qui laisse un goût amer en bouche -, le temps de vacances – émerveillantes mais à des milliers de kilomètres de ce qu’elle est -, en s’aidant d’un décalage horaire ou de musique trop forte, en tentant, avec férocité, de se persuader que c’est là ce qu’elle est supposée faire, que c’est ainsi qu’elle doit agir, que ce sont ces mains là qu’elle doit saisir, ces routes là qu’elle doit emprunter, le temps que de quelques heures ou de deux semaines, elle se brise quelques os et tranche dans ses muscles afin de rentrer tant bien que mal dans le moulage d’elle-même qu’elle croit devoir embrasser pour re-voir les yeux de sa mère s’illuminer de nouveau. C’est idiot, n’est ce pas, mais c’est le revers moins glorieux et pétillant de l’amour, j’imagine. Car, voyez-vous, mes attentifs amis, même sans compréhension réciproque, même en l’absence de tout dialogue, même si le lieu où elle entasse ses livres, ses vêtements et ses souvenirs ne lui donne plus l’impression d’être chez elle, même en se sachant chaque jour un peu plus décevante, même en s’éloignant chaque heure un peu plus loin, même en verrouillant une porte de plus chaque semaine, elle continue d’aimer à en crever ces deux personnes miraculeuses qui lui ont fait don de la vie, qui l’ont relevée tant et tant de fois, qui ont été ses rocs, qui ont été ses bâtons de marche, ses guides et ses sentiers balisés. Les mots sont lamentables face à cet amour dévorant, indestructible et pourtant destructeur, indescriptible car bien au delà des phrases, bien par delà les lettres, bien au dessus de la syntaxe. Elle les aime à en faire les mauvais choix, à en prendre les mauvaises routes, à en essayer de devenir autre, à en avoir parfois renoncé à ceux qu’elle aimait (elle dit et jure sur tout ce qu’elle a de sacré que l’on ne l’y reprendra plus. Permettez-moi d’être sceptique), elle les aime à s’amputer de certains bouts d’elle-même, à se farder un peu trop, à se jeter dans les mauvais bras, à accepter de ne plus se reconnaître dans le miroir, à en risquer de se blesser, à en emprunter des rues désertes, sans éclairage, tard le soir, à en rouler des centaines de kilomètres dans une voiture trop chargée et à se taire sur ce qu’elle aime, sur ceux qu’elle aime, sur ce qu’elle est, sur ceux qu’elle est. Elle a finit par les aimer au point de ne plus vouloir, jamais, leur imposer sa nature brouillonne et chiffonnée. Elle les aime à en devenir aveugle et croire qu’un jour ils parleront la même  langue.

Bali, ce fût un rapprochement réussi l’espace d’un instant, un rapprochement réussi tant qu’elle était à des milliers de kilomètres. Elle pouvait faire croire qu’elle correspondait au dessein au fusain qu’elle avait griffonné pour ses êtres tant aimés, mais sitôt rentrée, elle ne réussit plus à faire tenir le masque en place. C’est qu’ils ne sont pas dupes, ces deux humains qui la côtoient depuis plus de 23 années. Ils ne sont pas naïfs et, se retrouvant de nouveau face à elle, ils ont pu revoir toutes les gigantesques failles qu’ils ne réussissent pas à combler, les couleurs qu’ils ne peuvent pas changer, les élans de coeur qu’ils ne peuvent pas empêcher, les choix qu’ils désapprouvent, les chemins empruntés qu’ils n’aiment pas, les projets qu’ils voudraient voir être mis en place et auxquels elle ne touche pas. Alors c’en est fini des pétillements dans les yeux. C. a bien du mal à renoncer à ces quelques instants, où s’étant balancée dans un enveloppe autre que la sienne, elle a pu recueillir quelques véritables sourires, lorsqu’en se peinturlurant pour mieux se planquer elle a pu faire crépiter un peu de bonheur au creux de leurs paumes. Mais, franchement, les gars, elle ne sait pas si elle a encore envie de jouer à se déguiser, si elle a encore la force d’essayer de les tromper et de les persuader qu’elle réussira à devenir celle qu’ils attendent. Elle aimerait pouvoir s’abrutir de sons trop forts et de nuits dont on revient les traits tirés de fatigue et les jambes chancelantes. Elle voudrait aimer les moments où elle enferme tout ce qu’elle est dans une boite en fer forgé au creux de sa poitrine et se peinturlure de jeunesse, de légèreté et de maquillage. Seulement voilà, elle a beau essayer, cela lui laisse un goût de cendres sur la langue, une saveur d’échec contre le palais. Elle frissonne, toujours, après, d’avoir été si autre, d’avoir été si loin de ce à quoi elle ressemble. C., ma grande, laisse tomber ! Tu n’es pas de ces beaux êtres qui ont la jeunesse et la légèreté aisées, tu trébuches bien trop pour eux, tu tambourines trop fort, tu aimes trop puissamment. Ne te fatigue pas, D. et J-N. ne sont pas dupes, ils y croient l’espace de quelques heures, de quelques jours, puis tu dégringoles de nouveau sur les pentes savonneuses de ce que tu es et ils voient bien qu’ils se sont bercés d’illusions.

Ma naïve blonde aux lunettes bringuebalantes, c’est cela grandir, c’est ne plus être modelable, c’est trouver ce que l’on est et ce en quoi l’on croit, c’est choisir dans quelles empreintes l’on va poser ses pas et c’est renoncer à être l’aquarelle colorée dont rêvent ceux grâce à qui l’on tient debout. C’est cela, devenir adulte, c’est comprendre qu’il y aura plus de silence que de paroles, plus d’incompréhensions que d’échanges, c’est donner son immense amour malgré les froncements de sourcils désapprobateurs de ceux à qui on le donne. C’est cela, avancer, c’est se sentir un peu ingrate de ressembler si peu à ce qu’ils recherchent en nous, c’est accepter de décevoir encore et encore, c’est constater que les regards divergent subitement. Là où ils te voient faire des erreurs monumentales, aussi énormes que toi, lorsqu’ils comptent les faux pas, recensent les ratés et prévoient des impasses ; tu crois voir – et peut-être n’as tu pas complètement tort -, des voies, certes pleines de broussailles, mais que tu peux emprunter, des moments miraculeusement apprivoisés et des détours qui, s’ils risquent de te morceler le coeur et te fendiller l’âme, valent la peine de rallonger ta route. Vos regards ne vont plus dans la même direction car tu ne sais pas voir grand chose avec tes yeux de myope, tu erres dans ce qui est flou, tu rates la moitié de l’histoire et tu manques de vision périphérique mais tu as fini par t’en foutre un peu, te répétant inlassablement les mots du renard dans “Le Petit Prince” : “On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible aux yeux.”. C., c’est cela avancer, c’est comprendre et accepter que si tu peux tenter de partager ce que tu vois avec tes yeux – et encore ! C’est immensément difficile… -, tu ne peux espérer montrer du bout du doigt les océans de couleurs, les torrents de merveilles, les listes fabuleuses de projets, les mains qui s’entrelacent, les coeurs qui s’entrechoquent, les pupilles qui pétillent de concert et les mots qui n’osent être dits que tu as le bonheur d’observer du bout des pulsations de ton coeur. Cela devait arriver un jour, ce malentendu (mal-entendu) perpétuel, cette dé-connaissance qui prend la place de la reconnaissance et ce découragement inavoué au fond de leurs prunelles. C’est la vie, ma petite potelée aux taches de rousseur. Continue à les aimer à en crever, tu ne réussiras pas à les récupérer.  

Lecteurs, je vous vois déjà assomés par mes paroles, englués dans mes mots, épuisés de me lire. Moi qui avais encore tant de choses, de dégringolades possibles, d’heures éclatées de joie dans les rues parisiennes, de coeur qui s’affole, de yeux noirs, de nez rougie, de lèvres mordues, de mots conservés, relus, précieusement gardés, d’écrabouillages probables, de falaises escarpées et, surtout, de promenades le long de ce falaises – au risque de tomber dans des chagrins incommensurables – à vous raconter. Moi qui voulais vous dire qu’il est de ces apprivoisements, de ces instants de grâce qui valent la peine que l’on prenne le risque de s’emplafonner dans la vie, moi qui voulais vous parler d’avenir qui se déroule sous des pieds, de place presque trouvée. Je devais encore réprimander C. pour sa tendance ennuyeuse à mourir à tout analyser, lui donner des coups de pattes pour son peu de prudence, lui rappeler qu’elle a déjà pas mal de bleus et que ses genoux écorchés mettent toujours du temps à cicatriser. Cela sera donc pour le prochain billet. 

 

Tirtagganga


Il est des jours où il faut refiler quelques mots.

Salut les p’tits gars,

Autant vous prévenir dés maintenant, cela va être une belle pagaille ici, cela va perdre en légèreté et en fraicheur – en verve, aussi -, cela va se casser un peu. Voyez-vous, mes chers amis – oh, ça va, hein ! Depuis le temps, je peux bien vous appeler “mes amis “, non ? -, bref, mes rares et précieux lecteurs, je suis bien trop bon, bien trop généreux et j’ai décidé de donner les clés de mon douillet chez-moi à C. pour qu’elle le tapisse de mots l’espace d’un billet. Pourquoi une telle abnégation ? Pourquoi agir ainsi ? POUR AVOIR LA PAIX. Voilà. Libre à vous de partir, d’ailleurs, je vous le conseille fortement. Les mecs, fuyez, cassez vous, claquez la porte en partant, tirez vous tant qu’il en est encore temps, barrez vous, enfin, foutez le camp. Je me retire sur la pointe des pattes, sur le bout des griffes et vous laisse entre les lettres maladroites de mon intruse blonde :

“Quand Jean-Bob offre un peu de son lieu de paix, on se doit d’être sincère. Lorsqu’il consent à donner un peu d’espace blanc à encrer, il faut en être digne.  Je ne suis pas certaine d’être ni l’un, ni l’autre mais au nom de tout ce qui se bat dans mes veines, il me faut essayer. Vous savez, j’aime les inventaires à la Prévert, j’aime faire des listes qui semble ne devoir jamais s’achever, j’aime écrire sur un bout de ma peau, sur un coin de papier, sur un pan de mur, dans une marge de cahier, tout ce qui est susceptible de me faire rayonner. J’ai supplié Jean-Bob de me prêter cet ici car j’ai besoin de me foutre quelques gifles, de me bleuir un peu l’être, de me pousser violemment en avant, d’être un peu-beaucoup-carrément brutale avec moi-même. Il me faut me mettre face à mes baluchons de forces, face à mes poignées de volonté. Et pour cela, je vais sombrer dans mes si chers inventaires à la Prévert, je vais utiliser cet ici un peu gris – cela manque de couleurs, vous ne trouvez pas ? Allez, dites-le, peu importe si la réponse ne plait pas à Jean-Bob ! – pour recenser mes gratitudes. Si cela ne vous plait pas, si cela vous ennuie, si vous sentez vos paupières se fermer, je m’en fous royalement. J’écris toujours égoïstement, pour moi, pour faire palpiter tout ce qui cogne contre mes tempes, pour faire taire tout ce qui est trop aigu, pour affronter mes jours de nausée. J’écris pour écrire, revendiquant haut et fort le fait que cela ne serve à rien, le hurlant à m’en scier les cordes vocales, à m’en fracasser la voix.

Mais si j’écris égoïstement, pas pour vous, pas pour lui à l’autre bout du monde, pas pour ceux qui sont tous proches, pas pour celle qui s’est perdue en chemin, pas pour celle qui me manque mais avec laquelle je ne réussis pas à dépasser ma colère, pas, enfin, pour celui qui ne lit pas, de toute façon, si je n’écris pas pour tous ces êtres qui résonnent pourtant si fort en moi, j’essayerai tout de même de faire acte de sincérité. J’utilise “Les chroniques de Jean-Bob” parce que j’ai peur. J’ai tellement peur de me fracturer le coeur – ce n’est pas de ces fractures que l’on peut platrer et qui peuvent être réduites chirurgicalement, voyez-vous -, j’ai tellement peur de le voir s’émietter entre mes cotes. Je tremble de ne plus savoir l’emmurer, je crains d’avoir perdu la recette pour le solidifier, je redoute de l’avoir approché un peu trop près, au cours de corps à coeur, d’autres palpitants. Bref, je balise. J’ai aussi peur de continuer à errer, un peu pataude, un peu maladroite, sans bien savoir où je dois aller ni ce que je dois faire. J’ai peur, peur, peur de ne jamais trouver de lieux, de regards, de conversations, de bras, de poings, de pièces où je me sente tout à fait à ma place, tout à fait là où il me faut rester. Mais plus que tout cela, plus que ces trouilles de môme, plus que ces terreurs connues de tous ceux qui ont déjà eu le coeur malmené, j’ai peur d’avoir peur. Voyez-vous, on part en courant lorsqu’on a peur, on préfère arrêter tout de suite plutôt qu’échouer plus tard, on choisit les voies ombragées de la facilité, on fait preuve de lâcheté – une de mes spécialités -, on préfère se taire plutôt que de tenter de murmurer ce que l’on devrait hurler, on renonce à aimer, bref, on baisse les bras. On se jette à terre et on abandonne le combat, on attend patiemment que l’arbitre compte jusqu’à dix et on se dit “voilà”. On s’enterre un peu lorsqu’on a peur, on a à coeur de vivre moins vite, de vivre moins fort, de vivre moins tout court. On se rapetisse, on se ratatine, on bloque toutes ses articulations, on s’englue dans les fausses excuses, on se trouve des chemins de traverse, on ne soutient pas les regards, on ne retient pas les mains mais on planque tous les mots qui comptent derrière ses dents. On abandonne lorsqu’on a peur, on déclare ce qui nous menace vainqueur d’office – c’est moins épuisant, moins difficile, moins risqué et moins ensanglanté -, on refuse d’avoir mal lorsqu’on a peur. On devient des timorés de vie, de pauvres et fragiles imbéciles qui n’ont pas le courage de serrer les dents lorsqu’ils prennent des coups, des effarouchés de tout, des pleutres, des fugitifs, des lâches, des qui renoncent, des qui baissent la tête, des qui ne répondent jamais, dés qui passent leur vie les bras croisés contre leur poitrine pour n’être jamais, jamais, jamais atteints, des moins-vivants, des en noir et blanc. Alors j’ai peur d’avoir peur et de faire le choix de vivre longtemps plutôt que vraiment. Parce que, finalement, être lâchement, c’est n’être pas du tout.

Certains n’ont plus peur en hurlant la nuit, dans les rues silencieuses, d’autres s’entourent de dizaines de personnes en ne prenant pas le temps de les tresser serrés, et puis il y a aussi ceux qui changent d’hémisphère, celles qui  leurs longues mèches, ceux qui s’enfument et aussi tous ceux qui se recommencent perpétuellement. Moi, lorsque je deviens infréquentable, lorsque l’angoisse prend toute la place, lorsque je la sens coller mes pas, me tapoter l’épaule, me tourner la tête et lorsqu’elle me bloque dans un coin d’existence, je saisis les mots et je les jette un peu n’importe comment sur du papier. J’aime prendre les lettres à bras le corps, les serrer contre mon coeur, lorsque, surtout, je suis subitement obligée de farfouiller en moi, de retourner tout mon être pour retrouver mes réserves de forces. Je grave dans la toile tout ce qui dé-voute, tout ce qui m’enlace, tout ce qui me relève la tête, et m’empêche de tanguer, tomber, me fracasser. Je ne sais pas écrire, pourtant, vous savez. Les “ceux” qui savent le faire écrivent sur tout, sur n’importe quoi, sur un bout de lit, sur un arrondissement de Paris, sur des pas dans la neige, sur des pommettes rougies. Je griffonne seulement sur ce que j’aime ou plutôt sur “ceux” que j’aime. Il y a bien des choses que je ne suis pas certaine d’aimer tout à fait mais, en revanche, je sais, je sens que j’aime les gens à m’en mordre les lèvres pour ne pas le leur dire constamment, à m’en bruler les joues de larmes, à m’en craquer le cou, à m’en briser la nuque, à m’en éclater le coeur. C’est vous, mes réserves de force, mes puits de gratitude, mes greniers de ressources, mes brassées d’oxygène, mes tuteur quand je plie, mes bandages lorsque je me tords, mes pansements lorsque je m’entaille, mes attelles lorsque je me casse, mes sutures lorsque je m’entaille, mes anti-inflammatoires lorsque j’ai mal, mes rampes lorsque je trébuche. Vous êtes mes miracles quotidiens, mes épiphanies, mes succès, mes présents de la vie, mes amours. Vous êtes ce pour quoi je sais qu’il me faut me battre pour ne pas avoir peur et surtout, pour ne jamais me déclarer perdante, perdue d’avance. Pourtant, c’est lorsque je m’approche trop près de vous que j’ai peur, c’est lorsque je me laisse aller à ouvrir grand les barrages de mon tambourinnant, lorsque je perds le contrôle de mes frémissements, de mes palpitations, de mes tressautements. Je vous crains lorsque, soudain, je réalise que vous savez me dévérouiller, me décalfeutrer, me dé-planquer. Je commence à me perdre dans mes mots, à ne plus distinguer mon fil conducteur, à perdre de vue mes traces de pas, mes traces de doigts. Vous êtes mes terrifiantes sources de forces, mes remèdes contre les défaites précoces, mes anti-abandons, mes raisons de dire “non” à tout ce qui voudrait éteindre les lumières en moi, à ce qui souhaiterait baillonner ce qui se soule de paroles au creux de mon thorax, à ce qui cherche à ligoter ce qui gigote furieusement derrière mes yeux. C’est grâce à vous que je ne tombe pas à la renverse, mes formidables êtres de lumière, mes qui ne se doutent pas de leur importance, mes timides, mes féroces, mes professeurs, mes désapprenants, mes aimants, mes tabous, mes enfuis, mes regrettés, mes perdus de vue, mes à peine croisés, mes juste entendus rire, mes aux yeux baissés, mes un peu brisés, mes grisonnés par le temps, mes ridés, mes lissés, mes décomplexés, mes faux osants tout, mes vrais sensibles, mes à portée de main et, enfin, mes lâchés peut-être à jamais. Je vous ai au creux de l’âme.

Oui, je vous ai au creux de l’ême. Pas généralement, pas abstraitement, pas de loin, pas juste en mots, pas seulement comme ça, pas du bout du pouls. Vous vous faufilez en moi quand vous utilisez un peu inexactement mais tendrement le mot “emphase”, lorsque vous faites des erreurs professionnelles, quand vous ramez une journée d’été précoce, lorsque vous parlez d’amphitéâtres vides et de possibilités inexplorées, quand vous me reprochez mon absence, lorsque vous me regardez dans les yeux, lorsque vous taquinez mes lunettes, lorsque vous parlez de craies et de sigmas, lorsque vous me demandez des conseils, à moi qui suis bien incapable de répondre à mes propres questions, lorsque vous me tapotez vos aller-retours de coeur, lorsque vous chantez en préparant vos bandes, lorsque vous m’obstruez la gorge de larmes, lorsque vous me donnez le gout du sang et aussi quand vous portez des T-shirts bleus, quand vous êtes si follement politiquement incorrects, quand vous vous jettez à mon cou, quand vous prononcez les bons mots au bon moment, quand vous êtes en robe à fleurs, en short, en jean, en T-shirt tâché ou en costume. Vous vous glissez sous ma peau, vous vous frayez un chemin entre mes cotes, le long de mes muscles, contre mes tendons, vous ne me quittez pas, vous êtes si près de moi même lorsque vous partez en courant, je vous entends résonner, je vous vois évoluer, je vous attrappe les poignées, vous me piquez, me pincez, me brûlez, me saignez, me blessez – par amour, par maladresse ou par peur -.

J’arrive presque au bout de mes mots et j’ai moins peur de céder à l’angoisse. J’ai subitement devant les yeux tous les tambourinements sourds qui sont autant de raison de ne surtout, jamais, baisser les bras. Je n’ai pas envie de facilité, j’aime les combats où l’on me déclare perdante, j’aime être écchymosée de vie, cloquée d’existence, griffée de réalité. J’aime ce qui est brut, rêche et amer, je recherche ce qui est sans pitié, qui ne me laisse aucun répit, qui ne tolère aucune faiblesse, qui me hurle de me relever. J’aime les combats, les luttes, les chantiers immenses, les ascensions qui essoufflent, les erreurs faites pleinement et, bien entendu, tout ce qui pique les yeux. Je crois que tant que je raffolerais de tout cela, j’aurais beau avoir peur, je continuerai à apprendre en refusant de baisser les bras. Fin de mes mots.”

Voilà, les gars, c’est de nouveau Jean-Bob qui vous parle, j’ai repris les rênes, ce fût bien trop long, bien trop paumé à mes yeux mais, heureusement, c’en est terminé des mots de C. Retour à ma sagesse velue, retour à mes phrases sur coussinets, retour à ce qui vous intéresse. Mais vous êtes tous partis, tous enfuis au détour des mots de ma myope embrouillée et embrouillante, je suis seul dans cet ici. C’est bien dommage, j’avais des choses à raconter, des p’tits instants à vous conter, des ragots à colporter, des rumeurs à chasser. Cela sera pour une prochaine fois.

A bientôt, mes p’tits loups !

Paris monuments


“Un paroxysme d’amour qui avait besoin de se dépenser” (Marcel Proust)

Salut à vous, Ô fidèles adorateurs !

Avez-vous vu les brusques flots de soleil qui viennent vous frôler les joues et vous faire cligner les yeux, ces jours ci ? Avec ces dons de lumière vous pensez sans doute qu’il me faudrait aller chasser, traversant mon domaine banlieusard sur la pointe des pattes, traquant avec aisance et habitude les rongeurs osant s’aventurer sur mes terres. Les gars, ne me faites pas l’affront de penser cela, ce serait bien mal me connaître et ignorer le fait que nous, farouches félins des communes fleuries, n’avons pas la chance de pouvoir sortir chaussés. Or, si le soleil nous salue de la pointe de ses rayons, il fait bien trop froid pour ma fragile nature et l’idée d’errer sur la terre gelée me fait frissonner des griffes aux oreilles. Je préfère, de loin, me rouler sur un coin de couette, dormant par moments et prêtant attention à l’agitation un peu blonde et carrément myope qui fait trop de vent autour de moi.  C. est un peu chancelante de fatigue et a la voix enrouée de vie. Elle ne prête pourtant pas garde aux battements de ses paupières parce qu’elle sent ses os craquer de joie, ses jointures crépiter de bonheur, sa peau se craqueler de bien être. Alors pour préserver, cette joie, ce bonheur, ce bien être, elle s’en fout – ou plutôt tente de s’en foutre – des rires sans pitié racontés avec une gaieté qui lui tord l’âme, des aveuglements volontaires auxquels s’attache celle qui compresse la moindre de ses pulsations, les stratégies de jeux d’échec mises en place par ceux qui croient aimer oubliant alors les mots si férocement justes de Milan Kundera : “Aimer c’est renoncer à la force.” et elle s’acharne aussi à se moquer des coups – car c’est tout ce que vous arrivez à vous donner -.  Si elle choisit de regarder par delà ces torsions de coeur et ce sang qui perle au bord des paupières, c’est parce qu’elle se sent brûler d’émerveillement. Elle ne me l’a pas vraiment dit mais je vois bien ses pétillantes pupilles, ses sens écarquillés et son épuisante gaieté. Je la vois s’émerveiller de ne jamais se lasser des rires pantagruéliques qui lui donnent envie d’ouvrir grand les bras pour qu’ils la frappent en pleine poitrine. Je l’observe noter sur des coins de sa peau et tatouer sur ses muscles bandés de jeunesse son admiration face aux timides géants qui rendent totalement les armes, aux magnifiques riens de la vie photographiés et partagés, aux dons de soi inconsidérés – et considérables -, aux jolies erreurs historiques, aux dialogues codés, aux fous rires et aussi face au mot “ombre” en anglais.

Mais assez parlé de mon idiote à lunettes pour aujourd’hui, j’ai envie de m’adresser à vous, mes chers lecteurs, mes paumés dans mon chez moi ronronnant et un peu enfumé d’amour. Qui êtes vous ? Etes-vous de ceux qui choisissent le cynisme comme armure, de ceux qui s’entourent de briques, de ferrailles, de muscles ou de mensonges pour, surtout, ne rien ressentir ? Etes-vous de ceux qui prétendent n’avoir peur de rien tout en ayant peur de vous-mêmes ? De ceux qui craignent d’être embarqués parmi les chemins mal famés de l’affection, sur les routes mal fréquentées des fracassés qui se laissent aller à s’enivrer des maladresses des autres, de ceux qui sont défiants par rapport à leurs propres pas et qui aiment les itinéraires repérés avec précision sur des cartes, bien balisés, éclairés, élagués et, si possible, goudronnés. Ou êtes-vous des baroudeurs d’existence ? Des qui partent dans la jungle des mains qui s’attrapent, se nouent et, parfois, se lâchent, sans guide, sans lampe frontale et sans machette – lui préférant des paumes grandes ouvertes -. Ils ne sont pas forcément plus courageux, pas forcément plus téméraires, ces routards du coeur. Oui, vous qui vivez les bras grands ouverts, qui prenez les chemins de traverse et qui n’emportez pas de batteries de rechange – et encore moins de générateur de secours -, vous prenez certes le risque d’avoir mal, vous aimez les vulnérabilités, les secousses, les plantages, les erreurs, les bugs interplanétaires et les chagrins qui noient tout sur leur passage, pourtant vous faites preuve de lâcheté. Croyez-en mon expérience. Je vis à coté d’une lamentablement naïve qui a sorti son coeur de l’enveloppe protectrice qu’est sa cage thoracique pour le porter en bandoulière. Certes, elle s’ouvre aux piques et piqûres mais elle n’en reste pas moins une immense taiseuse, les soirs où elle pense tout fort mais dit seulement tout bas : “On se toucherait bien mais on n’arrive qu’à se donner des coups” (Godard).

Etes-vous à son image, lecteur ? Empli de peur ? D’approche souriante mais de rapprochement farouche, mettez-vous vos sourcils en accents circonflexes ? J’ai envie de savoir qui vous êtes, vous qui lisez ces lignes. Voyez-vous, j’en sais tant de ceux aimés de C.. Elle me parle des heures durant, les yeux un peu vagues, le pouls filant sous mes pattes, de tous les ceux pour qui elle a de la tendresse : il y en a avec qui elle a bâti des châteaux avant de les détruire ou de les regarder s’effriter – et pour certains, elle se sent vraiment stupide de ne pas les avoir attrapés à bras le corps et de s’être contentée de buée dans une voiture et de mains tenues -, il y en a avec qui elle tisse de l’amitié depuis de nombreuses années, laissant la confiance croître entre les liens, il y en a qu’elle a résolument égarés, paumés, éparpillés au gré des années et qui lui manquent lorsqu’ils fuient sur la pointe des pieds. Et puis il y en a près de qui elle pourrait rester des heures et ne rentrer qu’à des heures indus, des pas tout à fait étanches, des qui se mettent entre les coups de l’existence et elle, qui débordent de délicatesses et qui perdent pied face à la gratitude. Il y en a qui se planquent derrière leurs rires, qui enfouissent leur tendresse sous des rires qui sont autant de moqueries feintes. C. ne se lasse pas de me raconter, yeux d’illuminée, tignasse décoiffée, les mimes amers aux yeux des autres mais vrais puits de douceur et le goût de la menthe. 

Ces masses d’affection, ces ravins de gratitude, ces canyons d’amour brut, rocailleux, un peu âpre, un peu épicé et résolument pétillants, sont-ils des choses qui vous sont familières, mes chers paumés de la toile ? Il me semble qu’après plusieurs années passées dans cette maison de fous, j’en suis presque arrivé à vous le souhaiter. Subitement, j’aime les tortillements de vie, brusquement je me fous un peu des nausées des jours suivant les moments où l’on laisse nos poumons se remplir absolument de vie. J’ai du m’adoucir plus que de raison puisque je me sens à deux doigts de vous asséner l’ordre imbécile et ridicule de n’avoir pas honte de ne vivre que des échecs et mats, de refuser résolument de bâtir des stratégies par avance et de ne surtout jamais apprendre à compter. Osez, lectrices, lecteurs. Essayez encore et encore. Quitte à être ridicule, quitte à n’avoir aucun orgueil, quitte à vous en meurtrir l’ego, quitte à vous en brûler la peau et à vous en rompre les os, essayez à vous en rouler par terre, à en faire glisser le bout de vos doigts contre des murs, à en accrocher des ballons aux portières des voitures, à en guetter les diodes rouges et à en dégouliner de sueur. J’observe tous les jours des qui ont abandonné les tentatives désespérées, des rendeurs d’armes, des qui s’asseyent dans un coin au lieu de se jeter tête baissée contre les aspérités, qui s’aveuglent, qui laissent tomber l’amour, si difficile, lui préférant les rires acides, si aisés. C. les voit aussi ces pauvres diables à la dérive, elle voit leurs épaules baissées qu’ils déguisent avec des épaulettes factices, elle entend leurs discours, toujours les mêmes, les mêmes mots usés, rabâchés, trop utilisés, galvaudés et les mêmes opinions trouvées en bas de page. Les sentiers battus reposent si bien les pieds qu’une fois qu’on les a empruntés, il est épuisant de se cloquer à nouveau les talons. Pourtant, c’est ainsi que l’on existe plus fort, lorsqu’il y a, parfois, des douleurs brusques et  lancinantes qui vous ramènent à l’existence. Tentez de ne plus vous écouter, lecteurs. Essayez, je crois bien que c’est l’unique façon de vivre. 

1311162-Marcel_Proust


“Il y a plusieurs manières de se tuer. La pire est d’être timorée.”

Salut enneigé les gars !

Cela crisse sous les pas, cela tait tout, cela rougit les pommettes et blanchit les rues. Cela me ferait un magnifique camouflage et il me faudrait sans doute m’enfouir dans cette poudreuse sucreglacée. Embuscade enneigée. Mais je préfère ma chaleur du coin du feu, les bûches qui éclatent par moments, quitte à ne pas pouvoir me cacher de C. Ne vous y trompez donc pas, je ne suis certes pas en train de chasser, je ne traque pas les oiseaux imprudents, ni les rongeurs inoffensifs mais je ne savoure pas un repos pourtant incroyablement mérité en ces jours de froid. Je donne, chaque heure, chaque minute presque, de ma personne, je m’épuise à être des oreilles immensément ouvertes, je me crève à essayer de comprendre les allers-retours, les allers-sans-retours et surtout les détours adoptés par ma contrariante contradictoire. Il y a tant de fouillis en elle, tant de directions opposées, elle se paume doucement à aimer aussi bien Shurik’n que le concerto pour l’empereur de Beethoven, à se perdre des heures parmi les pages qui encombrent sa chambre et parmi les séries qui occupent tout son disque dur, à adorer avec ferveur ce qu’elle note sur les bancs de l’université et à vaciller d”angoisse et de non-envie lorsqu’elle regarde ce vers quoi la mène toutes ces heures à étudier. Tant de pensées éparpillées et qu’elle est bien incapable de trier, plier, repasser et ranger dans des tiroirs parce qu’elle ne sait même pas tout à fait comment les lire. Elle les fixe des heures, en s’embuant la gorge de larmes refoulées, elle les déchiffre à moitié, les frôle du bout des doigts, en aveugle, elle mélange les lettres, déplace les mots, s’engouffre dans la ponctuation mais elle n’a jamais appris à cracker les mots comme les hackers crackent les logiciels. Ils ont toujours glissé aisément vers elle, elle aimait à les faire rouler entre ses paumes, à les sentir se décoller de son palais, à les croquer du bout des dents. Ils lui ont toujours mangé dans la main et eux et C. ont toujours été tissés de confiance mutuelle. Elle n’a jamais eu à les apprivoiser, avançant, chaque jour, une lettre plus proche, écartant les bras en exposant son palpitant toutes les heures un peu plus grand. Il est de ces pertes de contrôle, de ces chutes de savoir, de ces ruptures de foi qui laissent ahuris d’effroi et bringuebalés d’incompréhension. Voilà ce que vit C., son sonar verbal est furieusement brouillé par les galopades vers l’âge adulte.

A ne plus savoir se décrypter, elle craint de se perdre et, après vingt-deux années et neuf mois passés à se démener sur Terre – et dans la terre –  elle est lassée d’elle-même. Elle en a marre de foutre en l’air, elle vomit sa fascinante capacité à laisser filer entre ses doigts tout ce que l’existence lui offre de miraculeux, elle ne peut plus se regarder ne pas oser encore une fois, elle voudrait heurter sa tête contre les murs afin de s’empêcher de se fermer brusquement à la vie gargouillante de sang, rompue d’os, courbaturée de pulsions, elle voudrait s’enchaîner les pieds afin ne plus jamais partir en courant et elle sait parfaitement que le sésame qui lui fait si cruellement défaut lorsqu’elle fixe ses pensées dans le noir, c’est une dose de courage. Ne plus s’intimer l’ordre de se taire à l’instant même où elle se demande comment elle a pu mettre le feu aux cordelettes qu’elle avait brouillonnement tissées, ne plus lâchement détourner les yeux lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi tout est écrabouillé sous la plante de ses pied ou le comment des éclaboussures de regrets sur ses joues. Il est vrai qu’elle aime déraisonnablement les fêlés qui ont la grâce de se couper en se rasant, qui ont les ongles cassés, qui n’articulent pas assez, ceux qui mélangent leurs mots et qui ont peur de tout ce qu’ils ne connaissent pas par coeur, ceux qui ne font pas car ils pensent ne pas savoir faire, les aux vêtements dépareillés, décolorés, délavés et aux chaussures non assorties au reste de la tenu, les qui trébuchent avec des talons, les qui égarent leurs bonnets, les qui rient un peu trop fort pour planquer leurs égratignures et leurs coutures qui se défont, les aux lapsus rougissants, les qui ont la sagesse de se blottir dans leurs imperfections. Mais ce n’est pas tout de les aimer, de se saigner le coeur, de se sillonner l’âme à leurs cotés, il faut les laisser rester tout près de soi. Il s’agit de sauter à pieds joints dans une question dont on craint la réponse, de se jeter dans des bras qui seront peut-être un mur d’indifférence. C. voudrait savoir offrir le pouvoir de la broyer en miettes, de l’ensanglanter, de lui lacérer les chairs, de lui fracasser les os, de lui cloquer la peau, à quelqu’un. Il suffit juste d’ouvrir les vannes, de déverouiller les portes en fonte, briser les carreaux pour ouvrir les poignets de l’intérieur. l’Art de se dé-déguiser, de se démasquer, de se dé-raidir, de risquer de se prendre l’autre de plein fouet. Art que vous maîtrisez presque tous, amis lecteurs. Soyons honnêtes, ouvrir les baies vitrées de ce qui tambourine dans vos recoins n’est pas forcément malaisé. Il vous reste quelques grammes de raison, quelques pincées de retenue et des poignées de sagesse. En offrant vos clés – ou en acceptant d’être forcés par des pieds de biche -, vous risquez des dévastations moins grande, vous qui vivez aux cotés de la mesure. Il n’en est pas de même pour les gargantuesquement vivants, ceux pour qui chaque jour est une succession de joies brûlantes et de veines qui s’entrouvrent.

Mais si vous, liseurs, avez moins peur, de vous lâcher les mains, de cesser de vous surveiller perpétuellement du coin des yeux, et même si c’est seulement parce que vous avez moins de blessures luisantes et ouvertes qui vous rappellent les raisons de votre effroi, il est des choses que vous craignez et je vous vois oser chaque jour. Vous sortez sans plâtre sur le visage, vous qui aimez tant le silence trouvez des moyens de récupérer des moments emplis d’inconséquents bavardages, vous vous lancez vers la tendresse, vous acceptez d’observer C. grandir, vous affrontez tous vos terreurs, vos timidités, vos murmures angoissés avec force et beauté, pas C. Voilà vingt-deux ans et neuf mois qu’elle s’acharne à capter les regrets, à déchirer toutes les futures réussites en papier, à aimanter tout ce qui est non-fait, à attirer tout ce qui ne sera jamais dit, à attraper tout ce qui restera tu. Les gars, j’aime à tapoter dans cet ici mais je ne sais pas encore combien de temps j’aurai des choses à raconter. J’ai peur que si elle s’effondre encore une fois car incapable de faire plus de pas en avant qu’elle en fait vers l’arrière, elle refusera à se relever – même si elle a, bien des fois, refusé d’abandonner -. Elle a trop d’épines – regrettables-regrettées – qui lui picotent l’âme. Elle a trop souvent fait preuve de lâcheté pour avoir assez de bravoure pour tenir debout encore de nombreuses années. Mais je suis un preux et valeureux compagnon velu et je ne crains pas d’écrire la vérité sur ses dérouillées avec la vie, sur son coeur qui s’égare totalement sur les bords de Marne gelés. Je n’ai pas peur de sa fureur en lisant ces lignes. Je la connais mon idiote blonde. Elle me coincera dans un coin de sa (ma) chambre et me répétera, encore et encore, que non, jamais elle ne cessera de se relever et que toujours elle remettra ses gants de boxe par dessus ses bandes – même les fois où elle grimace de douleur – pour boxer ses peurs, espérant ainsi les rapetisser. Elle me dira que je le connais bien mal et que je devrais savoir qu’à tout vivre trop fort, on a mal plus souvent et plus fort – mal à en avoir des crevasses dans le ventre, à s’en déchirer les fibres musculaires, à s’en griffer la cornée, à s’en limer les os et à s’en briser les dents – mais qu’on apprend également plus vite à encaisser les coups. Elle me dira qu’elle sait se mordre les lèvres pour ne pas crier de peine, qu’elle sait ravaler ses hurlements, qu’elle sait panser ses plaies et se suturer l’âme.  Elle me hurlera – et mes pattes sont fort malcommodes pour boucher mes grandes oreilles – qu’elle attrape chaque jour de quoi renforcer sa foi, reconstruire ses fondations endommagées. Elle finira par me tourner le dos en murmurant, un peu pour moi, surtout pour elle-même : “De toute façon, Jean-Bob, je m’en fous ce que tu penses de moi.”. Soit. Mais ne t’attends pas à ce que je te crois. 

Des traces de pattes en passant.